La liberté de la recherche en danger
par Isabelle Krzywkowski, responsable du secteur International
Le 1 août dernier, trois universitaires allemands ont été inculpés pour « appartenance à une organisation terroriste » et l’un d’entre eux a été placé en détention provisoire (libéré le 22 août, il reste toujours suspect). Les charges accumulées contre eux sont proprement effarantes : « En capacité intellectuellement de rédiger les textes » du groupe considéré comme terroriste (le « Militante Gruppe »), usant dans leurs travaux scien tifiques de « phrases » et de « mots-clés » que l’on retrouve dans les textes du groupe, pouvant accéder, « en tant que collaborateur d’un institut de recherche, à des bibliothèques », ces sociologues sont en somme accusés d’être les cerveaux d’une association terroriste.
Au-delà du caractère ubuesque d’un acte d’accusation qui « rend potentiellement criminelle toute activité scientifique et tout travail politique », de nombreux chercheurs et enseignants ont dénoncé dans une lettre ouverte au ministre de la justice allemand cette accusation qui « vise à faire passer la recherche critique, et celle liée plus précisément à un engagement politique, pour un leadership idéologique et pour du terrorisme ».
Outre qu’elle montre l’ampleur de l’entreprise de criminalisation des mouvements sociaux (comme le constate Emmanuelle Piriot(1), « cette affaire intervient dans un contexte où le militantisme et la critique sociale ne sont plus tolérés que sous certaines formes : les manifestations bon enfant, les pétitions... »), tout ceci met en évidence la suspicion qui entoure l’activité de
recherche elle-même. Un chercheur a-t-il le droit de porter un regard critique sur la société qui l’entoure (la même question vient d’être posée en France par les réprimandes de Christine Albanel) ? Doit-il se cantonner à l’analyse ou proposer des solutions ? Pour Emmanuelle Piriot, « l’arrestation d’Andrej Holm témoigne clairement de la volonté de voir dissociées les fonctions intellectuelle et militante ».
Dans des conditions beaucoup moins dramatiques, le nombre grandissant de cas d’ostracisation ou d’exclusion de chercheurs sont une autre forme de cette mise en cause des libertés académiques. L’enjeu n’est en apparence pas politique, mais économique : il suffit de se plier à la logique du projet et de l’objectif. Il est, évidemment, lourdement idéologique. Délit d’opinion et soumission de la recherche se rapprochent dangereuse-
ment. Musellement d’un côté, pilotage autoritaire de l’autre sont-ils compatibles avec l’idée que nous nous faisons de la démocratie ? Les expériences du XXe siècle peuvent nous en faire douter.
(1) Emmanuelle Piriot, « Preuves du crime : des articles de presse et l’accès à des bibliothèques », disponible à l’adresse : http://www.krise-und-kritik.de/ Site de soutien aux inculpés : http://einstellung.so36.net/