Un universitaire accusé de terrorisme emprisonné à Berlin
Depuis le 1er août, Andrej H. est en détention provisoire, isolé dans une cellule de la prison de Moabit à Berlin. Il ne peut en sortir qu'une heure par jour pour la promenade. Les visites d'une demi-heure ne sont autorisées que tous les quinze jours. Sa correspondance est contrôlée.
Andrej H., 36 ans et père de deux enfants, travaillait comme chercheur à l'institut de sociologie de l'université Humboldt. Mais pour Monika Harms, la procureure fédérale, c'est surtout un ennemi de l'Etat et un terroriste, membre du Militanten Gruppe, organisation qui se propose d'"éliminer les structures nationales et sociales actuelles par des actions militantes en faveur d'un ordre mondial communiste".
Une organisation responsable d'une vingtaine d'incendies criminels
Depuis 2001, la police berlinoise traque cette fantomatique organisation, dont les principales actions se sont concrétisées par plus d'une vingtaine d'incendies criminels contre des bureaux des impôts, de la justice, de l'emploi; d'une association patronale turque; d'un supermarché et d'une chambre de commerce étrangère; de voitures de police et des télécoms et d'un institut de recherche économique.
Mais durant l'année écoulée, les soupçons policiers se sont concentrés sur Andrej H. qui, à son insu, fut l'objet de la mise en pratique de toutes les règles écrites et non écrites issues des lois antiterroristes en vigueur en Allemagne: installation d'un mouchard électronique dans sa voiture, filatures, décryptage de ses e-mails, écoutes de ses conversations téléphoniques et surtout étude comparative millimétrique entre ses travaux de chercheur en sociologie et les manifestes publiés par le Militanten Gruppe.
C'est là que les enquêteurs vont trouver le motif leur permettant d'arrêter Andrej H. et de mettre en examen six autres personnes, en invoquant le paragraphe 129a de la loi antiterroriste section 7 du Code pénal, intitulé "Crimes contre l'ordre public".
Des accusations basées sur une analyse de vocabulaire
L'apparition de termes comme "gentrification" (processus de transformation urbaine) ou bien "inégalité sociale" dans ses textes académiques et l'occurrence similaire et répétée de ces mêmes termes dans la prose théorique éditée par les activistes de la guérilla urbaine du MG ont conduit les policiers à conclure dans leur rapport que la fréquence d'utilisation entre les mots employés par Andrej H. et le groupe "est frappante et ne peut pas être expliquée par une coïncidence".
Le rapport ajoute que par deux fois Andrej H. a rencontré trois autres membres du MG soupçonnés d'avoir participé à un incendie criminel qui a eu lieu fin juillet dans le Brandenbourg contre des camions de la Bundeswehr. Le rapport poursuit en soulignant le fait qu'Andrej H. n'avait pas pris son téléphone portable alors qu'il se rendait à ces rendez-vous, ce qui renforce les soupçons de "comportements conspiratifs".
Pour finir, les enquêteurs attirent l'attention sur le fait qu'Andrej H. et un autre universitaire mis en examen, Matthias B., avaient accès à une bibliothèque universitaire spécialisée, ce qui signifie qu'ils étaient "intellectuellement en mesure de compiler les textes sophistiqués du MG".
Un collectif de scientifiques prend la défense d'Andrej H.
Ces accusations basées sur une complicité intellectuelle et l'emprisonnement d'Andrej H. ainsi que de trois autres personnes ont suscité de vives réactions tant en Allemagne qu'à l'étranger. Un collectif international d'une centaine de scientifiques a pris sa défense en protestant par une lettre ouverte dénonçant "la criminalisation de la recherche académique critique et de l'engagement politique", adressée à Monika Harms, la procureure fédérale de la cour constitutionnelle de Karlsruhe.
Dans un article paru mardi dans le quotidien britannique Guardian et intitulé "Guantánamo in Germany", deux universitaires demandant sa libération écrivent:
"Il y a trente ans, l'Allemagne a traversé une période terrible, avec des groupes militants indiscutablement violents, et ce souvenir des années de plomb pèse sur la police. Il se peut fort bien que le terme "gentrification" soit un mot véritablement terrifiant.
"Mais cette action policière dans une démocratie libérale ressemble davantage au mode opératoire de Guantánamo qu'à du véritable contre-espionnage ".
Addendum 22/08/2007: en début d’après-midi, Andrej H. a été libéré, indique un communiqué transmis par son avocate Christina Clemm : "le mandat d'arrêt n'a pas été levé mais le juge a libéré Andrej H. après paiement d'une caution et l’imposition de différentes conditions. Cela signifie que d'après l'avis du juge, on peut considérer qu’Andrej H. se met à la disposition de la justice car il n’y a pas de risque qu’il prenne la fuite. Le Tribunal fédéral a fait savoir qu'il faisait appel de cette décision".